Cannabis médical et troubles bipolaires : interview d’un patient

Cannabis médical et troubles bipolaires : interview d'un patient 1

Johan, 29 ans, atteint de troubles bipolaires de type 2, nous parle de son expérience du “cannabis médical” et de la façon dont il estime que cette plante a sauvé sa vie.

Attention, cette interview a été réalisée en décembre 2019. L’ensemble du contenu à suivre est à lire en se remettant dans le contexte de l’époque.

Chers lecteurs, précisons qu’au moment de démarrer cette interview, le représentant d’Herborisia ne sait pas quelle forme de cannabis est consommée par Johan, ce dernier n’étant pas client d’Herborisia. Le principe de l’interview est acté via Twitter (Johan nous suit) avant même de savoir ce que ce dernier désigne sous l’appellation “cannabis médical” : cannabis CBD à faible teneur en THC, cannabis à plus forte teneur en THC ou bien encore toute autre médicament à base de cannabis accessible depuis l’étranger (exemple : Sativex)? Il faut comprendre qu’à la date de cette interview en décembre 2019, le flou persiste au niveau des appellations utilisées par chacun pour désigner les différentes formes de produits médicinaux à base de cannabis, y compris les formes naturelles.

Herborisia :
Bonjour Johan.

Johan :
Bonjour Herborisia.

Herborisia :
Johan, ravi de faire votre connaissance via le fil Twitter d’Herborisia. Merci d’accepter l’idée de cette interview.
Quel âge avez-vous et dans quel département vivez-vous?
Depuis combien de temps consommez-vous du cannabis médical? Quel en a été le déclencheur?

Yohan :
J’ai 29 ans et je vis dans le Finistère.
J’ai commencé à prendre du cannabis médical il y a 1 an, suite à une discussion avec mon psychiatre. J’ai été diagnostiqué bipolaire type 2 il y à 5 ans environ.
C’est mon psychiatre qui m’a parlé des différentes avancées autour des traitements pour la bipolarité. Les différents traitements et médicaments ne m’allaient pas du tout jusqu’alors, il a alors évoqué la possibilité du cannabis CBD.

Herborisia :
Quand vous dites que les traitements classiques ne vous allaient pas du tout, cela signifie-t-il que ces traitements étaient inefficaces ou que ces traitements provoquaient chez vous des effets indésirables?

Johan :
Les effets secondaires étaient beaucoup trop violents et invivables pour moi. Je dormais en moyenne 19h par jour, j’étais devenu un zombie. Plus de cerveau, plus aucune libido. J’ai perdu mon emploi et ne pouvais plus m’occuper de mon fils seul. Sous ces traitements, j’avais des crises moins longues, moins intenses, mais à quel prix?! Sans compter que ces médicaments dérèglent la thyroïde, du coup on gonfle, j’avais 40 kilos en surpoids.
Avant d’être diagnostiqué bipolaire et psychotique, je me soignais à grand coup de drogues comme beaucoup de bipolaire quand on n’est pas stabilisé. J’avais donc de gros problème d’addiction. Pour moi cela a été drogues et médicament en tout genre.
C’est suite à de nombreuse hospitalisations qu’on m’a enfin diagnostiqué bipolaire. J’ai eu du mal à l’accepter ce diagnostic mais j’ai commencé à vouloir me soigner et vouloir guérir. J’ai arrêté les drogues, jusqu’au tabac, et j’ai commencé les divers traitements à base de médicaments neuroleptiques, les antidépresseurs, régulateurs d’humeur, benzo ect… Ce sont des médicaments très violents. Au final, c’était pire qu’avant ! J’ai ainsi enchaîné plusieurs hospitalisations pour essayer de nouveaux médicaments et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un jeune psychiatre, avec une autre façon de voir les choses, me parle enfin d’un traitement à base de décharges électriques, et d’un autre à base de “weed”. Sur le coup, le cannabis m’as plus parlé, avec une certaine crainte étant donné mon passé et mes problèmes d’addiction.

Herbosisia :
Savez-vous si ce jeune psychiatre avait déjà expérimenté le cannabis médical chez d’autres patients bipolaires?

Yoahn :
Non, je ne sais pas.

Herborisia :
Ce psychiatre vous a recommandé de tester le cannabis médical par vous-même, en vous suggérant certaines formes (huiles? sprays?) ou vous a-t-il simplement fait la suggestion de tester sous la forme qui vous plaisait le mieux?

Yohan :
Oui j’ai commencé à beaucoup me renseigner sur le net et à en parler à d’autres personnes malades.
J’ai commencé par fumer les fleurs. C’est ce que j’ai trouvé de plus simple au début. Puis j’ai très vite acheté des vaporisateurs car la combustion c’est vraiment mauvais et illogique dans une démarche médical je trouve. Maintenant, j’utilise surtout le vaporisateur, ce qui me permet de faire varier la température. Le réglage de la température a de gros impacts : à 20 degrés près, une herbe peut selon moi ouvrir l’appétit ou vous couper la faim, ou devenir antidépresseur et anti-anxiété. Le vaporisateur est donc la méthode la plus intéressante pour moi. Les huiles et concentrés, je m’en sers pour confectionner les edibles. Pour doser, c’est plus facile que les fleurs, les effets durent plus longtemps que le vapo, ce qui peut être intéressant aussi. Les sprays par contre je ne connais pas du tout. Les baumes non plus car dans mon, je ne vois pas l’utilité, c’est plus pour des problèmes de peaux.

Herborisia :
Pour être sûr de bien comprendre et lever toute ambiguïté, confirmez-vous que ce n’est pas votre psychiatre qui vous prescrit ces herbes CBD, que vous vous débrouillez donc tout seul, sans être remboursé par la sécurité sociale, c’est bien ça?

Yohan :
Bah oui, à moins que je ne sois pas au courant d’une combine, ça reste illégal, non? Mon médecin généraliste et mon psychiatre se sont renseignés dernièrement et malheureusement, la bipolarité n’est pas une maladie retenue pour le test qui commence en France en 2020.

Herborisia :
Vous achetez vos fleurs CBD ou vous en produisez pour votre propre consommation?

Johan :
Je produis tout moi-même en sélectionnant les variétés les plus efficaces pour moi. Le problème est la limite des 0.2% de THC. Les variétés les plus efficaces dans mon cas sont des variétés au ratio THC/CBD 1:1, et donc avec des taux de THC plus élevés que ce qu’autorise la loi. C’est dommage, la France est très en retard sur le cannabis médical, il y a urgence sanitaire pour beaucoup de patients comme moi. La loi n’est pas du tout adapté, c’est totalement ridicule.

Herborisia :
OK, j’allais justement vous posez la question de savoir si vous étiez ou non déjà client d’Herborisia. Mais je viens donc de comprendre que non, étant donné que nous ne vendons sur notre site que des produits dont le taux de THC respecte les règles européennes, à savoir des produits dont le taux de THC reste inférieur à 0,2%.
Vous parliez juste avant de concentrés pour vos edibles. Cela signifie que vous fabriquez vos propres résines?

Johan :
Oui je fais des extractions via des solvants. Mon prochain achat sera une presse hydraulique chauffante pour faire du Rosin. Et le traditionnel haschich avec les reste de manucure.
J’essaye le plus de variétés possibles pour me construire une base. Je peux ainsi expliquer à mes médecins ce qui marche sur moi et ce qui ne marche pas.

Herborisia :
Pour les edibles, quelle est votre recette préférée?

Johan :
J’adore mes petits gâteaux au chocolat coco arrangé!

Herborisia :
Comment vivez-vous le fait d’être dans l’illégalité?

Johan :
La répression est un réel problème car si un jour la police vient à ma porte, je fais comment? J’ai conscience que tous les mots de médecins n’auront peut-être aucun poids pour ma défense. C’est totalement injuste de vivre au jour le jour avec une telle pression. Me confisquer cette façon de me soigner serait d’une injustice totale. Je ne suis pas un voyou et je produis uniquement pour ma propre consommation.

Herborisia :
Comment votre entourage a accueilli votre nouveau traitement?

Johan :
Au début, il y avait beaucoup d’appréhension de la part de mon entourage, surtout à cause de mon passé. Pour eux, c’était de la drogue. Avec tout ce qu’on entend partout dans les médias, le cannabis fait peur. Mais ils ont vite vu les résultats. Mon médecin les a aussi rassurés. J’ai même converti pas mal de monde dans la famille au CBD qu’on trouve légalement en France. Je pense que la prévention est très importante et très mal faite en France à cause de la prohibition.

Herborisia :
Depuis 1 an, vous vous sentez donc beaucoup mieux grâce au cannabis? Votre vie a réellement changé?

Johan :
C’est le jour et la nuit. A ce jour, je ne prends plus aucun médicament, je me soigne uniquement grâce au cannabis. Oui, ma vie a totalement changé : j’ai de nouveau un sommeil normal, j’ai pu me mettre au sport et à la méditation, j’ai une hygiène de vie carrée, je suis enfin serein, je peux enfin m’occuper de mon fils de 2 ans (mon épouse travaillant beaucoup, nous avons un restaurant, ce sont nos parents respectifs qui s’en occupaient beaucoup jusqu’à ce que tout aille mieux pour moi). Je n’ai pas fait une seule rechute ou crise. En 15 ans, c’est la première fois que je me sens heureux et que je pense au futur. Tout le monde a suivi l’évolution de ma santé. Au début, ils pensaient que j’étais en phase “maniaque” avec le cannabis car je suis devenu hyper actif alors que je ne sortais auparavant jamais de mon lit. Ils se sont progressivement rendus à l’évidence que j’étais en fait dans mon nouvel état normal. Je continue à être suivi par plusieurs personnes : je trouve important que des médecins puissent essayer de comprendre pourquoi cela fonctionne aussi bien dans mon cas. Je suis persuadé que le cannabis peut sauver des vies.

Herborisia :
Johan, merci beaucoup d’avoir accepté de témoigner. Il est en effet dommage que l’expérimentation française sur le cannabis thérapeutique ne prévoit rien pour les patients “bipolaires”. Nous vous souhaitons de continuer à bien vous porter et de nourrir de beaux projets pour le futur.
A noter enfin un signe du destin : le jour de publication de cette interview, la cour Suprême Italienne vient de statuer sur le cas de la culture du cannabis à domicile et pour usage personnel : cette culture domestique à des fins personnelles n’est désormais plus un délit en Italie! Preuve que les choses sont en train de bouger dans des pays très proches de la France.